Tous les enfants dessinent, puis vers 7 ans, la plupart s’arrêtent. D’un côté, c’est bizarre que le monde de l’enfance soit à ce point homogène, c’est comme si dessiner était aussi fondamental que parler, marcher. Quant à s’arrêter, j’entend généralement incriminer le système scolaire français, trop normatif, trop axé sur la compétition, laissant trop peu de place à l’enseignement artistique.
Le texte du psychanalyste Serge Tisseron, que nous publions dans cet épisode 4, raconte tout autre chose. Ce texte était niché tout au fond d’un livre consacré à Tintin, en fait surtout à son auteur, Hergé. Selon Serge Tisseron, dessiner correspond à l’élaboration de l’œdipe chez l’enfant, c’est-à-dire à se séparer de sa mère, à réaliser peu à peu que l’on est une personne autonome. J’ai trouvé ce texte en 1985 et depuis je n’en ai pas repéré d’autres sur les enjeux, le sens du dessin pour les enfants. Peut-être en connaissez vous ?
En tout cas, j’en ai tiré le raisonnement suivant : 7 ans, en principe, c’est fait, la mutation est accomplie et il est par conséquent normal que les enfants cessent de dessiner, l’école n’a rien à voir avec cela. Mais alors, tous ceux qui continuent à dessiner seraient ceux qui « rament » encore à se sentir séparés de leur maman ? Comme j’en fais partie, la nouvelle n’est pas très bonne. Mais c’est vrai que j’ai pu constater que mon impulsion à dessiner s’était émoussée avec le travail que j’ai fait en analyse.
Tout de même, il me semble que cette explication psychanalytique n’explique pas tout. On parle du don du dessin, on fait des liens entre personnes d’une même famille qui eux aussi aurait le « don ». Dans les milieux artistiques, on élude cette question du don, on met l’accent sur le travail, sur la fibre personnelle de l’artiste et « ce qu’il a à dire ». C’est vrai aussi. Mais qu’est ce que le talent alors ?
J’ai été étudiante aux Beaux-arts et sur la trentaine de personnes de l’atelier, bon nombre d’entre elles ne me semblaient pas être dépositaires de ce fameux don. J’avais plutôt l’impression qu’elles étaient là par peur du monde du travail. Un moment, le cours a consisté à dessiner un modèle vivant 3 heures chaque matin pendant un mois. Au bout d’un mois, tout le monde sait dessiner, les proportions sont justes. Mais les différences de personnalité sont là d’une manière éblouissante, aucun dessin ne se ressemble : les traits sont épais ou légers, une seule ligne ou de multiples cisaillements, etc. Certains sont émouvants, d’autres non. Alors que se passe-t-il ? Je sais qu’on met là dessus le mot sensibilité, mais cela ne m’amène nulle part, c’est trop fourre-tout. Et quel est le rapport avec l’œdipe… ?